Marseille dans la bouche de ceux qui l’assassinent
mardi 11 novembre 2008
Bruno Le Dantec
La Ville-sans-nom Marseille dans la bouche de ceux qui l’assassinent
11 x 18,5 cm • 112 pages • 7 € ISBN : 978-2-916542-03-4
« Je crois que Marseille est incurable à jamais »
« Il faut nous débarrasser de la moitié des habitants »
« Pour que les gens se mélangent, il faut que certains partent »
En amont de la publication de ce livre une commande faite par Euroméditerranée (établissement public chargé de la réhabilitation des quartiers portuaires de Marseille) à un photographe reconnu, Antoine d’Agata. On demanda à l’artiste de mettre en images la rénovation « en évitant tout regard nostalgique ». Refusant de servir de caution à un projet de destruction des quartiers populaires, le D’Agata fit des montages de silhouettes d’adolescents sur des images de destruction avec la mention : « Qu’allez-vous faire de nous ? ». En parallèle à ce travail il collecta avec Bruno Le Dantec des citations de puissants alléchés par le projet Euroméditerranée.
L’ensemble photos et citations donna lieu à une exposition, « Psychogéographie », que Renaud Muselier (président d’Euroméd et saigneur local de l’UMP) qualifia de « travail volé ».
La Ville-sans-nom rassemble les citations de cette collaboration. Elles mettent en évidence une constante : de Louis XIV à la mairie actuelle de Jean-Claude Gaudin les puissants n’ont eu de cesse de vomir leur bile sur Marseille jugée tour à tour trop populeuse, crasseuse, bordélique, paresseuse et envahie d’étrangers. Un brouhaha étouffant de voix de politiciens, journalistes, urbanistes, hommes d’affaires, écrivains stigmatisant le petit peuple et les étrangers (des Italiens de la fin du XIXe siècle aux Arabes de la fin du XXe), exhortant à balayer la canaille. Un avant-goût du « kärcher » de l’actuel président, qui rappelons-le a de fervents supporters à la mairie marseillaise.
Ces rêves d’utopistes bouffeurs de pauvres et d’étrangers prennent forme depuis 2002 avec le projet Euroméditerrannée qui orchestre la « gentryfication » du centre-ville, autrement dit le vidage progressif (façon poulet vidé de ses viscères) de ce que le centre peut compter de pauvres, de basanés, de qui-parlent-fort pour en faire un paradis pour cadres moyens et supérieurs, un terrain de jeux pour businessmen et touristes fortunés. Etrangement, comme le souligne Le Dantec concernant Marseille, « presque tout ce qui lui était auparavant reproché s’(est) maintenant transformé en argument de vente ».
Quelques grosses entreprises se partagent la galette : parmi elles Eiffage (pour les horodateurs et la transformation du « Grand Hôtel » de Noailles en commissariat), Kaufman & Broad, Connex (Véolia – pour une partie des parts du tramway, de la SNCM et les navettes fluviales locales), Lone Star (fonds de pension américain – notamment pour la rue de la République) et Eurazéo.
Sous les applaudissements unanimes de la majorité municipale et de la presse de la finance.
Selon l’auteur, Marseille serait la dernière grande ville d’Europe dont le centre-ville est encore populaire. De l’inauguration du Centre-Bourse en 1977, supposé contrer l’influence du marché arabe, à la construction de la grande bibliothèque Alcazar, sensée effrayer les pauvres autochtones d’origine immigrée, en passant par les travaux de rénovation interminables du centre et les luttes de ses habitants, Le Dantec commente les différentes étapes de cette « reconquête » de la ville par la bourgeoisie.
Nicolas Maury, 30 Décembre 2007 (trouvé sur le web)
ANTHOLOGIE DE LA CASSE URBAINE
paru dans CQFD, Journal de critique sociale
« On a besoin de gens qui créent de la richesse. Il faut nous débarrasser de la moitié des habitants de la ville. Le cœur de la ville mérite autre chose. »
Claude Valette adjoint au maire, délégué à l’urbanisme Le Figaro, 18/11/03
« Je crois que Marseille est incurable à jamais, à moins d’une déportation massive de tous les habitants et d’une transfusion d’hommes du Nord. »
Louis Fréron proconsul de la Convention, 1794
« Le quartier [de la Porte] d’Aix est un véritable quartier arabe. Si un jour j’ai le moyen de faire quelque chose à la mairie de Marseille, je le ferai. »
Jean-Claude Gaudin Le Matin, 09/11/85
« On va épurer Marseille, qui en a bien besoin. »
Pierre Laval président du Conseil, janvier 1943
« Le Marseille populaire, ce n’est pas le Marseille maghrébin, ce n’est pas le Marseille comorien. Le centre a été envahi par la population étrangère, les Marseillais sont partis. Moi, je rénove, je lutte contre les marchands de sommeil et je fais revenir des habitants qui payent des impôts. »
Jean-Claude Gaudin maire de Marseille, La Tribune, 05/12/01
« à Marseille, ça bouge, et dans le bon sens. Le marché est sain, dynamique et la municipalité joue le jeu. »
Guy Nafilyan président de la branche française de Kaufman & Broad n°1 mondial de l’immobilier, mai 2002
« Alors, alors seulement, personne ne pourra plus nous déloger. La sociologie de Marseille aura changé, notamment dans les secteurs décisifs sur le plan électoral. Regardez ces grues. Elles construisent des appartements à 20 000 francs le mètre carré. à ce prix-là, la gauche est cuite. »
Le directeur de campagne de Gaudin Le Nouvel Observateur, 22/02/01
« La politique de relogement de la ville de Marseille ne doit pas appauvrir nos arrondissements. Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde sur ce secteur. »
Lisette Narducci maire PS du 2e Secteur Marseille-Infos, janvier 2004
« Marseille : la reconquête… Euroméditerranée : le fer de lance du redémarrage… En pied d’immeubles, les commerces désertés depuis longtemps vont être revitalisés et de grandes enseignes de franchise vont les remplacer… »
Texte standard sur les sites de plus de 100 agences immobilières de Nice et Paris, juin 2002
« Rue de la République, future voie royale de l’aménagement : dans dix ans, dopée par le développement du quartier de la Joliette, cette rue pourrait bien retrouver ses lettres de noblesse et redevenir l’artère impériale qu’elle a été autrefois grâce à la convergence de projets menés par la Ville et les propriétaires immobiliers. »
La Provence 11/03/02
« La réhabilitation induit une augmentation des loyers car les prestations seront meilleures. Mais nous n’excluons pas les habitants de leur quartier. […] Il est vrai que seules les personnes qui pourront assumer l’augmentation des loyers pourront occuper ces logements. »
Le directeur de Marseille Aménagement La Marseillaise, 15/05/01
« Pour que les gens soient mélangés, il faut que certains partent. »
Gérard Chenoz conseiller municipal UDF de Marseille L’Humanité, 21/04/00