C’est avec une tristesse profonde et une rage indicible que nous, amis de Philippe Lalouel, nous adressons à vous pour la dernière fois. Ce que nous annoncions sans illusion s’est réalisé sous nos yeux : une exécution publique.
Après 1h30 de délibéré seulement, les jurés sont revenus la tête haute, toute honte bue, et le verdict est tombé comme tombe le couperet d’une guillotine : dix-sept ans.
Ces dix-sept ans s’ajoutent aux six qu’il lui reste à endurer. Sa date de sortie : 2037, à 73 ans.
Nous espérons que le fantôme de cet homme viendra hanter leurs nuits pendant les vingt-trois prochaines années.
Le mépris de la cour a été jusqu’à prononcer cette sentence alors même que la quarantaine d’amis de Philippe n’étaient pas encore rentrés dans la salle. Les policiers chargés des contrôles et des fouilles faisaient preuve d’une lenteur calculée et d’une agressivité sans borne. Une rangée de flics haineux nous séparaient de notre ami et nous ont évacués sans ménagement, sans même nous laisser lui dire adieu.
Là encore c’est Philippe qui nous a donné à tous et toutes une leçon de vie. Nous étions privés de mots par l’horreur, effondrés de douleur et de rage ; et c’est lui qui nous a réconfortés : « Merci d’être là. Lâchez rien. Ce soir, restez ensemble, mangez ensemble. Vous en faites pas pour moi. »
Nous, amis de Philippe Lalouel, avions tenté de faire franchir aux jurés, à la cour, au public de Montauban, la barrière qui les sépare de ce que la justice nomme un « criminel ».
Cette démarche, présentée par la juge comme une tentative d’exercer une pression sur les jurés, a en réalité changé la teneur du procès, en obligeant la cour à laisser la place à Philippe et à ses témoins. Ils ont tenté ensemble de faire comprendre ce qu’est un homme après vingt-trois ans de prison, dont onze à l’isolement ; le sort des malades à l’intérieur (qui explique les évasions de Philippe, lesquelles remontent à vingt ans) ; les conditions réelles de sa libération conditionnelle de 2009, un « cadeau empoisonné » ; en fait, en faisant exister quelqu’un qu’on avait voulu « éliminer ».
L’année dernière, la cour d’assises avait « éliminé » un prisonnier anonyme. Cette année, les jurés ont exécuté, en toute conscience et connaissance de cause, un homme fier et digne.
Philippe, déjà condamné par la maladie, a survécu à une peine plus longue qu’une perpétuité réelle (vingt-deux ans) ; il en entame une deuxième à présent, aussi abominable et absurde que cela puisse paraître.
Pendant les deux jours du procès, il est resté toujours digne, en réclamant seulement de pouvoir être proche de « la femme qu’il aime et qui l’aime », de pouvoir « vivre dans notre monde », de pouvoir enfin « aspirer la liberté ».
Lorsque le verdict est tombé, il est encore resté debout, inébranlable dans sa force de vie : « Nous, les grosses peines, on nous enferme jusqu’à la mort ! Mais on va entendre parler de moi ! Lâchez rien ! Moi, qu’est ce que j’ai, qu’est ce qu’il me reste ? C’est la guerre, je vous la déclare ! Les portes, elles vont pas exploser, elles vont aller jusqu’en Colombie ! Faudra pas s’étonner si on me revoit en assises. Nous, les grosses peines, dans les centrales, on va se réunir, vous allez voir ! »
Cela nous a rappelé les paroles de Christophe Khider, qui, alors qu’il venait lui aussi d’être condamné à vie pour une évasion, a comme Philippe d’abord pensé à ses camarades de souffrance, lors du rendu de son procès du printemps 2013 : « Je vais dire aux gens qui m’aiment de m’oublier. Je vais briser ce qu’il reste de plus beau en moi, et devenir ce que vous avez voulu faire de moi : un monstre. »
La condition des longues peines en France n’est pas qu’une honte, c’est aussi une bombe à retardement. Ces hommes et ces femmes n’ont plus rien à perdre, on leur a tout enlevé, on les a « éliminés de la vie sociale », pour reprendre les termes de l’avocat général Sylvestre, c’est-à-dire qu’ils « n’existent plus pour notre monde », pour reprendre ceux de l’avocate Delphine Boesel.
Nous partageons avec Philippe cette solidarité pour ces hommes et ces femmes qui meurent de solitude dans les maisons centrales, à l’abri de nos regards.
L’avocat général Sylvestre, cet homme vil et haineux à l’idéologie réactionnaire, s’est contenté paresseusement de relire avec morgue son réquisitoire de l’année dernière, prétendant protéger une société dans laquelle personne ne souhaiterait vivre.
La juge Chassagne, qui la veille avait condamné un homme en détresse, Saïd Ouhab, à douze ans de réclusion, et qui aura distribué plus d’un siècle de prison pendant les dix jours de sa session d’assises, a évidemment manipulé le jury populaire, les enjoignant à ne pas se laisser impressionner par l’homme, et en leur rappelant la Loi, qui par nature n’a aucune considération pour les trajectoires humaines, cette Loi qui tue les petits voleurs et laisse courir les financiers véreux, cette Loi qui protège l’argent des banques derrière la sempiternelle souffrance des victimes dont elle n’a cure.
Nous avons tenté de faire comprendre poliment qu’une telle exécution était inacceptable. Nous n’avons reçu que mépris et insultes. Nous avons compris la leçon, et à présent que Philippe est en guerre, nous sommes à ses cotés. Sa compagne, Monique, n’a pas même accordé ses larmes au jury assassin, faisant preuve d’une dignité et d’un courage admirables, alors même que son intimité était étalée au grand jour sans la moindre décence. Nous nous battrons ensemble, à présent, pour que Philippe effectue sa peine à la centrale de Lannemezan, et non pas à 800 km de chez elle. L’avocate de Philippe, Delphine Boesel, d’une combativité et d’une retenue exemplaires pendant les débats, les a conclus avec une plaidoirie précise et bouleversante. Cette avocate n’est pas mue par l’appât du gain au contraire de ceux des parties civiles, mais par une réelle vocation : la défense des longues peines, condamnés à vie dans les « mouroirs de la république ». Les jurés, la juge, ont quitté la salle sans un regard pour cet homme qu’ils ont abandonné, « eux pour vivre, lui pour mourir », comme l’a dit Me Boesel. Nous, nous ne l’abandonnons pas et continuerons de nous battre à ses cotés.
Philippe est plus vivant que jamais.